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Lars von Trier


Né en 1956 et diplômé de la Danish Film School en 1983, Lars von Trier développe très tôt « une attraction fétichiste pour tout ce qui concerne les techniques cinématographique ». Son style s’affirme dès les trois films, tous primés, qu’il réalise en tant qu’étudiant.

Sa première trilogie Europa, le fait connaître à l’international et révèle sa maîtrise de la caméra (The element of crime 1984, Epidemic 1987, et Europa (Zentreuropa) en 1991). Le critique Derek Malcolm le décrit alors comme « un croisement entre Orson Welles et Ingmar Bergman, remué avec un soupçon de Fellini… Tellement sombre que même son ombre a une ombre ».

Von Trier reconnut l’influence des œuvres d’Hitchcock dans les années 1940, mais il aime voir ses films comme des « manifestes sauvages » contre le cinéma commercial. Le succès de Europa lui permis, avec le producteur Peter Aalbæk Jensen, de lancer leur maison de production Zentreuropa Entertainment, leader sur le marché du cinéma scandinave.



Manifeste (1990)

Je confesse !

Tout est apparemment bien. Le réalisateur Lars von Trier est un homme de science, un artiste et un être humain. Et pourtant, je pourrais tout aussi bien dire que je suis un être humain puis un artiste, puis un homme de science, puis un cinéaste.

Le péché dont je veux me confesser est l’intolérance. L’excuse selon laquelle j’ai été séduit par l’arrogance de la science est elle-même un mensonge qui coule à pic. Sans doute est-ce vrai, j’ai essayé de m’intoxiquer dans un nuage de sophistique sur le sens de l’art et le devoir de l’artiste, j’ai inventé des théories ingénieuses sur l’anatomie et la nature des films ; mais, et je le confesse publiquement, tout ceci n’était qu’un rideau de fumée qui m’a rendu incapable de me débarrasser de ma plus grande passion : le désir charnel.

Notre attitude face aux films peut être décrite de tant de façons différentes et nous entraîne vers tant de directions différentes !

Nous pouvons nous draper dans de grandes théories. Nous pouvons embarquer et nous laisser emporter pour une traversée vers des contrées inconnues. Ou bien nous pouvons maintenir que les films sont une potion que nous utilisons pour avoir une influence sur notre auditoire. Et le faire rire. Et le faire pleurer. Et le faire débourser son argent…

Tout cela paraît convainquant, et pourtant je n’y crois pas. Ceci est seulement une excuse pour passer à travers, et forcer d’autres à passer au travers de cet enfer qu’est le processus créatif d’un film. Le plaisir charnel de ce fragment de seconde, dans les salles de cinéma, quand le projecteur et le haut-parleur, à l’unisson, permettent à l’illusion du son et du mouvement de jaillir comme un électron abandonnant son orbite pour créer de la lumière, et engendrer l’ultime : une poussée de vie miraculeuse. C’est cela, et cela seul, qui est la récompense du réalisateur, son espoir, sa revendication.

Quand la magie du film fonctionne réellement, et que la sensation voluptueuse qu’elle engendre se répand en vagues orgasmiques à travers l’organisme… Cela est l’expérience que je recherche. Cela, et cela seul a toujours été la force motrice de mon travail. Rien d’autre. Cela ! Je me sens mieux maintenant que je l'ai écrit. Oubliez toutes les excuses, « la fascination enfantine » et « l’humilité qui prend tout dans ses bras », ceci est ma confession, écrite noir sur blanc :

Moi, Lars von Trier, ne suis rien d’autre qu’un type qui se masturbe sur la toile de l’écran.

Et pourtant, Europa, la dernière partie de ma trilogie, ne comporte pas la moindre allusion sexuelle.
Pureté et clarté ont enfin été réunies. Il ne sert à rien d’étouffer la réalité sous les strates de « l’Art »…
Pour finir, je soumets toutes mes tentatives d’alchimiste de donner de la vie à du celluloïd à Dieu, pour qu’Il juge. Seule une chose est sûre : Dieu est la vraie vie, celle que nous rencontrons en sortant du cinéma, et cette vie ne peut jamais être égalée… Car elle est Sa création, et est, en tant que telle, divine…


L.v.T., Copenhague, 29 décembre 1990



Pourtant, après Europa, il abandonna son style cérébral et ses références cinématographiques, en partie pour des raisons personnelles. Son père, juif, mourut. Sa mère lui apprit alors qu’il n’était pas son vrai père (et mourut aussi peu de temps après). Cela provoqua chez Lars von Trier une perte d’identité et une profonde dépression, aggravée par l’échec de son premier mariage et son divorce. Ayant besoin de gagner sa vie, il entreprit The Kingdom, une série télévisée dont fut tiré un film de quatre heures en 1994, et inspirée de David Lynch (Twin Peaks).


Breaking The Waves (1995)


Après 5 ans de production, il sort en 1995 Breaking The Waves, l’histoire d’une femme que son mari, malade et paralysé, encourage à avoir des relations avec d’autres hommes. Il dit s’être inspiré d’un conte danois qu’il aimait étant enfant : Golden Heart (Cœur d’Or). C’est l’histoire d’une fille qui entre dans un bois, habillée et avec du pain dans sa poche, et qui, à la fin, erre nue et démunie de tout, mais répétant « tout ira bien malgré tout ». Von Trier considère cela comme la définition du martyre, qui va désormais hanter son œuvre. De plus, il adopte un mode opératoire fondé sur le paradoxe : Breaking The Waves est un film naturaliste sur les miracles, un film
cinémascope tourné avec une caméra portée à la main, une série de séquences improvisées et coupées de façon excentrique, mais le film qui en résulte a été manipulé électroniquement, transféré en vidéo pour mener un jeu sur les couleurs, puis remis sur pellicule.

A ce point de sa carrière, Lars von Trier trouve dans ses anciens manifestes une nouvelle source d’inspiration et est à l’origine de Dogma95, qui est à la fois un groupe de cinéastes et une série de principes, un « vœu de chasteté cinématique ». Dogma95 entreprit d’établir une « nouvelle forme de cinéma honnête », sans éclairage artificiel, musique ajoutée ou accessoire. Tous les films seraient filmés en une seule prise avec des caméras portées à la main, et le metteur en scène n’apparaîtra pas au générique, Von Trier ayant énoncé que « le concept d’auteur est, dès le départ, issu du romantisme bourgeois, et donc faux ».


Les Idiots (1998) est le seul film qui applique à la lettre les principes du Dogme, incluant l’improvisation – les acteurs « suivaient » leur personnage en imitant les symptômes de paralysie spasmodique et du syndrome de Down (les convulsions permettant d’atteindre l’idiot intérieur, la pureté inaltérée par la société et le passage à l’âge adulte). En fait, le film fut un échec car, dans de nombreux pays, il ne passa pas les examens des commissions d’éthique avant toute présentation au public. Dans ses films suivants, Lars von Trier reste fidèle au Dogme, même s'il en applique les règles avec plus de souplesse (pour le décor, les accessoires ou la musique par exemple).


Les Idiots (1998)



DOGME95

… est un collectif de cinéastes fondé à Copenhague au printemps 1995.

Dogme95 a pour but express d’aller à l’encontre de « certaines tendances » du cinéma actuel.

Dogme95 est une action de sauvetage !

En 1960, il fallait en finir ! Le cinéma était mort, et il fallait le ressusciter. Le but était bon, mais les moyens ne le furent pas ! La Nouvelle Vague n’a finalement été qu’un murmure, aujourd’hui échoué et retourné à la boue. Les slogans individualistes et libertaires ont engendré des œuvres pour un temps, mais aucun changement durable. La Vague est à enterrer, tout comme ses cinéastes eux-mêmes. La Vague n’a jamais été plus forte que ceux qui étaient derrière elle. Le cinéma anti-bourgeois est devenu lui-même bourgeois, parce que les fondements théoriques sur lesquels il reposait étaient ceux de la perception bourgeoise de l’art. Le concept d’auteur est, dès le départ, issu du romantisme bourgeois, et donc faux.
Pour Dogme95, le cinéma n’est pas « individuel » !

Aujourd’hui, un orage technologique fait fureur. Il aboutira à la démocratisation ultime du cinéma. Pour la première fois, tout le monde peut faire des films. Mais plus le medium devient accessible, plus le rôle de l’avant-garde devient important. Ce n’est pas par accident que l’expression « avant-garde » a des connotations militaires. La discipline est la solution. Nous devons donner des uniformes à nos films, parce que le film individuel est décadent par définition.

Dogme95 s'oppose au film individuel et ses principes en présentant une série de règles incontestables appelées « Vœu de Chasteté ».
En 1960, il fallait en finir ! Le cinéma avait été « cosméticisé » à mort, disaient-ils ; mais depuis, l’emploi du cosmétique a explosé.
La tâche suprême des faiseurs de films décadents est d’amuser le public. Est de cela que nous sommes fiers ? Est-ce cela qu’un siècle de cinéma nous a apporté ? Des illusions à travers lesquelles des émotions peuvent être communiquées ? … Par le libre choix de la tromperie par l’artiste individuel?

La prévisibilité est devenue le Veau d’or autour duquel nous dansons. Le fait de mener la vie intime des personnages justifie que l’intrigue ne soit pas compliquée, ni du « grand art ». Comme jamais auparavant, l’action superficielle et le cinéma superficiel reçoivent tous les éloges.
Le résultat est stupide. Une illusion de pathos et une illusion d’amour.

Pour Dogme95, le cinéma n’est pas une illusion !
Aujourd’hui, un orage technologique fait fureur, dont le résultat est une élévation des cosmétiques au niveau de Dieu. Grâce aux nouvelles technologies, n’importe qui, n’importe quand, peut effacer les dernières traces de la vérité sous l’étreinte de la sensation. Les illusions sont tout ce que les films peuvent cacher.

Dogme95 s’oppose au cinéma d’illusions en présentant une série de règles incontestables appelées « Vœu de Chasteté » :


LE VŒU DE CHASTETE

Je jure de me soumettre aux règles suivantes édictées et confirmées par Dogme95 :

1. Le tournage doit être fait en extérieurs. Les accessoires et les décors ne doivent pas être amenés (si un accessoire est nécessaire au cours de l’histoire, le lieu doit être choisi pour pouvoir y trouver l’accessoire)

2. Le son ne doit jamais être produit séparément des images et vice versa (la musique ne doit pas être utilisée, sauf si elle se produit au moment où le tournage est réalisé)

3. La caméra doit être tenue à la main. L’immobilité ou tout mouvement obtenu grâce à la main est autorisé. (le film ne doit pas se passer là où est la caméra, mais la caméra est là où se passe le film)

4. Le film doit être en couleur. Les éclairages spéciaux ne sont pas autorisés. (s’il n’y a pas assez de lumière pour l’exposition, la scène doit être coupée, ou juste une lampe accrochée à la caméra)

5. Le jeu sur les lentilles ou les filtres est interdit.

6. Le film ne doit pas contenir d’action superficielle. (meurtres, armes, etc. ne doivent pas apparaître)

7. L’aliénation temporelle ou géographique est interdite. (c’est-à-dire dire que le film se passe à tel endroit à telle époque)

8. Les films de genre ne sont pas acceptés.

9. Le format du film doit être le Academy 35mm.

10. Le metteur en scène ne doit pas être nommé au générique.

De plus, je jure, en tant que réalisateur, de m’abstenir de goût personnel ! Je ne suis plus un artiste. Je jure de m’abstenir de créer une « œuvre », puisque je considère le moment plus important que le tout. Mon but suprême est d’imposer la vérité hors de mes personnages et décors. Je jure d’agir ainsi par tous les moyens possibles, et au prix de n’importe quel bon goût ou considération esthétiques.
De cette manière, je fais VŒU DE CHASTETE.

Copenhague, 13 mars 1995.

Thomas Vinterberg - Lars Von Trier - Søren Kragh-Jacobsen - Kristian Levring



Dancer In The Dark (2000)


En 2000, le Dogme est consacré avec la Palme d’or à Cannes pour Dancer in the Dark, avec Björk. Elle y incarne une immigrée Tchèque aux Etats-Unis qui, suite à une maladie que son fils a aussi, devient peu à peu aveugle, et devra en outre affronter la justice américaine. Le film fut mal reçu aux Etats-Unis, accusé d’anti-américanisme alors que Lars von Trier n’a jamais mis les pieds aux Etats-Unis. Celui-ci rétorqua qu' « ils n'étaient jamais allés à Casablanca quand ils ont fait Casablanca ». Agacé par ces critiques, le cinéaste danois décida de tourner d'autres films situés en Amérique. Ainsi naquit le projet de Dogville,qui fut aussi le fruit de la rencontre
avec Nicole Kidman, désireuse de tourner à tout prix avec le cinéaste de Breaking The Weaves. Le second épisode de la trilogie que Lars von Trier a prévu avec Nicole Kidman, est en cours de production.





Lien utile : http://www.geocities.com/lars_von_trier2000/
(site d'un fan club danois)